“Le chant jaillit dans un déchirement de la pensée” disait Mallarmé
Je l’ai toujours écoutée. Le vinyle “Barbara chante Barbara” tournait en boucle à la maison, parmi les sonatinas de Schubert et les chants de prisonniers sibériens.
Je la chantais sans la comprendre, sa voix était toujours celle d’une retrouvaille, rappelant la maison et le quotidien.
Lorsque j’ai commencé à chanter, ce qui revenait si souvent, c’était que mon endroit était celui de “la voix de l’émotion” – et qu’on me “comparait” si j’ose dire à Barbara – ses inflexions, le choix des chansons que j’interprétais aussi, dites chansons à texte.
Le public souvent me demandait : et vous chantez Barbara ?
Naturellement je la fredonnais, naturellement je me suis mise à la chanter.
Lors des réglages sonores avant un concert c’est d’elle que j’entamais les premières notes, les premiers mots pour me donner un diapason intérieur, tester l’acoustique, faire connaissance avec une nouvelle salle. Peu à peu, j’ai inclus ces chansons dans mes programmes (La Serena avec Louis Rodde & Juliette Salmona, une version yiddish et franco-yiddish dans Soul of yiddish …)
Je savais qu’un jour ce serait un disque entier – je ne savais pas que ce serait dans la foulée de mon dernier album Le temps de rêver, et cela aujourd’hui me semble si cohérent : le français, ma langue maternelle qui prend définitivement sa place dans mon espace vocal, et après avoir chanté la mélodie française et la grande chanson du début du siècle, c’était le moment de Barbara.
Sa brisure me parle, me console, recoud mes plaies, celle de l’absence géante de celle qui m’a quittée trop vite, ma sœur. Barbara sait dire cela. Elle sait chanter tout ce que contient la vie, sans le dire trop fort, ni trop violemment, et jamais le soupçon de l’espoir ne disparaît complètement.
Mais à quoi ça tient, cette émotion intacte à chaque écoute, la justesse de ses mots, elle nous pique à vif, à coeur, Barbara.
Combien sommes-nous à l’écouter, si souvent, elle qui fait partie de notre quotidien, de notre intimité, de notre vie.
“La délicatesse des confidences chantées de Barbara, cette manière qu’elle avait de s’offrir à nous sans pour autant se démasquer, nous rendait complices d’une vérité qu’on ignorait” raconte Jérôme Garcin.
Voilà. Barbara nous met dans la confidence, et nous révèle à nous-mêmes.
Alors forcément, ça bouleverse, ça remue, ça donne envie, ça démange.
Ça devient nécessaire même de se mettre à chanter ces mélodies qu’on connaît tant, celles qu’on chantonne enfant ignorant tout du sens des mots, qu’on se prend en pleine poire quand on se met à comprendre, et qu’on redécouvre à chaque fois, une telle justesse de la vie, une telle humanité.
Il n’y a qu’à regarder ceux qui la chantent : sans défense, à nus devant le public, bouleversés.
Voilà en quelques mots l’état d’émotion dans lequel Barbara me plonge.
C’est même trop fort parfois, et j’y reviens encore.
Alors, quand Fabien Cali à la sortie de la création de son cycle “Cueillir le jour” m’a proposé d’orchestrer Barbara pour ma voix avec orchestre j’ai tressailli.
Quelle communion plus grande pour une chanteuse d’être entourée par tant de musiciens, tant de timbres, et que dans un même souffle, le chant peut jaillir.
Fabien Cali et toutes les musiques qu’il porte en lui, son écriture si intuitive de la voix, mais tout autant exigeante, son regard contemporain… quel projet irrésistible et quel cadeau.
Chanter Barbara, ça touche à l’expérience du sublime, sans jamais aucune grandiloquence.
Les chansons de Barbara sont celles que j’aurai aimé écrire comme je l’ai déjà dit.
Ce projet ne quitte plus mon esprit, je l’attends comme un rendez-vous, comme la promesse d’une belle histoire d’amour, comme qui dirait.
Noëmi Waysfeld